Début de l’histoire
|
Je vais vous dire la vérité : je suis une jeune femme qui s’invente une vie entre quatre murs.
J’ai fait de longues études, j’ai travaillé et vécu dans de grandes villes bouillonnantes qui rendent amnésiques, où les nuits sont sans étoiles et dévorent les rêves. Les réminiscences d’une vie possible qui émergent dans les paupières fermées, alourdies de fatigue, s’évaporent dans le réveil contraint des lendemains. Une alarme de téléphone sonne le glas et avorte toutes tentatives de fuite… englouties dans les pas pressés des passants passifs. Si tôt envolées nos vies intérieures sont décapitées par les portes du métro. Seuls les corps restent, transportés dans les tunnels sous-terrain, en marche vers des promesses impossibles, des carrières de pierre – attention risques d’éboulement – dans l’attente de la chute probable, les corps réapparaissent en automates en masse à la surface. Toute la journée, en surface.
Toutes les journées, j’ai porté des masques, toute ma vie, fille sage, studieuse, sérieuse, j’ai caché ma rage, mes poésies, mes grandes vies de petite fille heureuse dans des sacs en vrac, assise comme un petit soldat qui pianote des heures durant… des mélodies sans âme et en sourdine. Et par la fenêtre, silencieuse, moi je voyais s’envoler les heures périlleuses et précieuses.
J’ai vécu dans d’autres pays, mais, toujours assise, dans des open space, où la vie est pourtant close. Et les masques vissés interdisent la rêveries, ces regards qui se plongent dans les ailleurs lointains, ces terres de l’enfance quand les nuits d’été promettaient dans nos yeux innocents autant de vies scintillantes que d’étoiles dans le ciel. Dans les open spaces les fenêtres sont immenses pour laisser se jeter des heures en plus grand nombre…
Alors, avant qu’il ne soit trop tard, j’ai emporté mes heures promises, dans un magot de fortune sur le dos. Et j’ai fait marche arrière, j’ai laissé la tasse à café marqué de rouge à lèvres, et je me suis sauvée. Cette fois la porte du métro allait me délivrer.